Cette chronique a été diffusée dans l’émission « Chroniques 127 » de mai 2021 proposée par le podcast Proxi-Jeux. Elle a été co-écrite avec Hammer.
La civilisation maya est une des plus anciennes et des plus étudiées des civilisations de Mésoamérique : elle était localisée au sud du Mexique, au Guatemala, au Honduras, au Salvador et au Belize. Le peuple maya a connu son apogée entre les VII et IXè siècles après JC, puis les cités ont été abandonnées à la fin du XIè siècle avant d’être refondées par les Espagnols. Ce peuple a donc été ignoré jusqu’au début du XIXè siècle car la forêt tropicale avait « englouti » les monuments.
Retracer leur histoire est donc une tâche complexe pour les archéologues car les connaissances que l’on a des Mayas sont très fragmentaires et il est difficile de déchiffrer toutes les inscriptions trouvées. L’écriture maya, qui utilise 800 signes ou glyphes (il faut parfois 10 glyphes pour exprimer une syllabe) est aujourd’hui déchiffrée à 80%. Par ailleurs, les prêtres espagnols ont procédé à des autodafés de pratiquement tous les codex et le climat humide a été néfaste à leur conservation.
Ce qui a souvent marqué les esprits s’agissant de la civilisation Maya, c’est leur calendrier Tzolk’in souvent nimbé de mystères et de prophéties. Et Tzolk’in, c’est aussi le titre d’un jeu de Simone Luciani et Daniele Tascini, illustré par Milan Vavroň, sorti en 2012 chez CGE, puis localisé et distribué en français par Iello. Un jeu pour 2 à 4 joueuses de 13 ans et plus, pour des parties de 90 min.
L’empire Maya ?
En réalité, on ne peut pas parler d’empire maya. Bien au contraire, l’organisation politique des Mayas s’est faite autour de nombreuses cités-États, perpétuelles rivales les unes des autres. Une situation qui n’est pas sans rappeler celle des cités grecques antiques, ou encore celle des villes italiennes de la Renaissance.
Ces cités-états sont dirigées par des rois appelés Seigneurs ou divins Seigneurs qui ont tous les pouvoirs (religieux, militaires, civils). La royauté est héréditaire par la lignée mâle. Les rois choisissent les chefs locaux qui gèrent les villages autour des cités parmi la noblesse ; ceux-ci perçoivent les impôts et exécutent les décisions royales.
Les cités étaient les centres du pouvoir religieux, commercial et politique ; toutes conçues sur le même modèle urbain, elles étaient formées par des espaces concentriques : au centre, l’espace public avec de larges places où se concentrent les bâtiments officiels, les temples, le stade ; autour de ce centre en 2è cercle se trouve l’espace privé avec les maisons des nobles et des temples mineurs, et enfin au-delà de ces deux cercles, les maisons du peuple. Sur le plateau de jeu, outre la roue dentée qui fait la renommée du jeu, on trouve 5 cités : Palenque, Uxmal, Tikal, Yaxchilan, et Chichen Itza. Eh oui, on aurait aussi pu choisir “Tikal”, le jeu de Wolfgang Kramer et Michael Kiesling, pour parler des Mayas, mais que voulez-vous, j’ai un faible pour les créations de Simone Luciani !
Palenque, c’est surtout le nom de la petite ville fondée dans l’actuel état du Chiapas, au XVIe siècle, par les missionnaires espagnols non loin du site maya, qui était déjà abandonné à cette époque. Les Mayas fondèrent Lakam Ha (c’est son nom original) dès l’an 100 av. J.-C., ce fut d’abord un petit village d’agriculteurs qui purent profiter des terres fertiles, du climat chaud (26ºC en moyenne) et des précipitations les plus abondantes du Mexique. Les récoltes abondantes permirent aux habitants de faire du commerce avec le fruit de leur labeur. La ville maya, elle, ne naîtra qu’au Ve siècle sous l’égide de son premier Seigneur, K’uk B’alam (Quetzal Jaguar). Elle continuera de grandir pour devenir la capitale de la région de B’akaal, un centre important entre le Ve et le IXe siècles.
Sur le plateau de jeu, Palenque c’est l’endroit où vos ouvriers viendront défricher la forêt et récolter du maïs, des activités qui collent assez bien à la situation géographique, au cœur d’une forêt luxuriante, et aux humbles origines agricoles de ce célèbre site. Mais l’histoire de la cité ne sera pas un long fleuve tranquille, les périodes glorieuses alterneront avec les guerres, notamment avec la cité belliqueuse de Calakmul, ce qui forcera plusieurs fois les rois de B’akaal à trouver des alliances avec d’autres grandes cités, comme celle de Tikal par exemple.
Tikal (aujourd’hui au nord du Guatemala), c’est sans aucun doute l’un des plus grands sites et centres urbains de la civilisation maya précolombienne, peut-être le plus grand d’ailleurs. Tout comme Palenque, ce n’est pas le nom original de la cité antique, qui s’appelait apparemment Yax Mutal. Et tout comme Palenque, les origines de Tikal sont lointaines mais c’est bien pendant cette fameuse période dite “classique” entre les VIIe et IXe siècles que la ville connaîtra son apogée, capitale d’un état conquérant dominant un large territoire et entretenant même des relations avec des cités parfois lointaines, comme celle de Teotihuacan dans la vallée de Mexico.
Face à Calakmul et ses alliés, on pourrait dire que Tikal c’est l’autre superpuissance maya. On a pu cartographier complètement la capitale du royaume Mutul et on sait aujourd’hui que la ville s’étalait sur 16 km2 et comportait plus de 3000 structures. On estime que la population a pu monter jusqu’à 90 000 personnes au début du IXe siècle, mais dans un rayon de 25km autour de la ville c’est jusqu’à 400 000 personnes qui ont dû vivre près de Tikal, des chiffres à prendre tout de même avec des pincettes, nous disent certains archéologues.
La règle du jeu nous dit que “Tikal est le centre du développement architectural et technologique.” Pour l’architecture, c’est vrai qu’on est servi à Tikal, avec de nombreux temples au sommet de pyramides à degrés qui mesurent entre 50 et 70 mètres de haut comme le Temple du Grand Jaguar. Quant à la technologie, on reparlera science un peu plus tard mais il est fascinant de noter qu’une grande ville comme Tikal a réussi à prospérer pendant des siècles sans aucune source d’eau potable mais en stockant uniquement l’eau de pluie dans une dizaine de grands réservoirs. Apparemment les habitants de Tikal avaient aussi mis au point des techniques d’agriculture intensive très innovantes pour l’époque.
L’organisation sociale Maya
La société maya est très hiérarchisée entre différentes classes : nobles, clergé, militaires, artisans, commerçants, agriculteurs. Cette dernière classe qui sert aussi de main d’œuvre pour les travaux publics représente la majorité de la population et est elle-même sous-divisée en ouvriers agricoles, serviteurs, esclaves qui sont les délinquants de droit commun. Mais il semble qu’il n’existait pas d’antagonismes entre ces différentes classes. Les terres cultivables sont quant à elles les propriétés de chaque village et sont distribuées en parcelles aux différentes familles, favorisant ainsi les alliances matrimoniales.
L’organisation religieuse
Le peuple maya est très religieux et les grands prêtres forment des dynasties de père en fils à qui ils transmettent leurs savoirs. Les prêtres exercent des activités de scribes, de production d’almanachs sacrés sur la médecine, réalisent les cérémonies et forment des prêtres subalternes. Le prêtre le plus important est « le Chilam » qui reçoit les messages des dieux et énonce des prophéties. Le polythéisme maya regorge de divinités qui pouvaient changer de formes et de noms. Les montagnes et les volcans étaient également considérés comme des lieux sacrés.
D’ailleurs dans le jeu, on trouve 3 pistes sur lesquelles les joueuses vont progresser, dédiées chacune à un dieu différent : Quetzalcoatl, Kukulcan et Chaac. En réalité, Quetzalcoatl et Kukulcan sont un même dieu, le dieu serpent à plumes de quetzal, le premier étant plutôt vénéré chez les Aztèques tandis que Kukulcan serait plus présent chez les Mayas. Mais Kukulcan pouvait aussi être représenté sous forme de jaguar. Les Mayas considéraient que le Cosmos était fait de trois entités : le Ciel (composé de 13 strates ayant chacune leur dieu), la Terre (plate et carrée représentée par le dos d’un crocodile géant), le monde inférieur (composé de 9 strates avec 9 « seigneurs de la nuit ») destiné aux morts sauf aux rois qui devenaient alors des dieux.
Le principal centre religieux était « Chichen Itza » localisé au nord du Yucatan, au Mexique. C’est une autre cité qui est représentée sur le plateau, celle où vous pourrez utiliser vos crânes de cristal pour effectuer vos actions et obtenir les faveurs des dieux, notamment en faisant progresser vos pions sur les pistes des temples dont on vient juste de parler… mais là, il faut que je fasse un aparté pour parler de ces fameux crânes de cristal. Et je sais que je vais décevoir les fans d’Indiana Jones, mais ces crânes de cristal… eh ben c’est du pipeau. Ces crânes réalisés en cristal de roche ont en fait été exécutés pour une grande part d’entre eux au XIXe siècle, en Europe, et au début du XXe siècle on les associait à tort aux civilisations mésoaméricaines, telles que les mayas, ces objets étaient très prisés des amateurs d’ésotérisme, et la confusion a été entretenue par quelques explorateurs qui ont prétendu avoir rapporté certains de ces objets de leurs expéditions. Mais les expertises sont formelles, ces fameux crânes sont des objets bien plus modernes que les civilisations précolombiennes auxquelles certains ont prétendu les associer…
Point de crâne de cristal chez les Mayas alors… Mais ce qui est sûr, par contre, c’est que la vie des Mayas était rythmée par de nombreux rituels spécifiques, établis selon les deux calendriers — on va en reparler, ne vous inquiétez pas — qui correspondaient à des cycles de création et de destruction. Ainsi, les cérémonies religieuses étaient accompagnées de musique, de nombreux jeûnes sévères, ainsi que de mortifications et d’automutilations (à titre d’exemple, les rois pouvaient entailler leurs pénis, les reines pouvaient tirer une corde d’épines à travers leur langue, et leur sang répandu sur un papier était alors brûlé, la fumée établissant la communication avec le monde des dieux).
En période « sombre » des sacrifices étaient prévus pour apaiser les dieux qui étaient « affamés » ; le sang transportant l’énergie humaine, les Mayas croyaient qu’il fallait le donner aux dieux pour recevoir en retour une faveur ou un pouvoir, et donc faire des sacrifices humains. Les victimes sacrificielles étaient le plus souvent des prisonniers de guerre (ce qui explique les guerres permanentes, qui permettaient d’avoir un « vivier à sacrifices »), les esclaves et surtout les enfants orphelins ou illégitimes (par exemple, pour la divinité de la pluie Chaac qui était très vénérée, le prêtre noyait des enfants). Il semblerait que certaines victimes n’étaient pas contraintes mais volontaires car la mort n’était pas une fin mais le commencement d’une renaissance, sous la forme d’un papillon ou un oiseau…
Les activités économiques
Les activités économiques s’organisaient autour de la chasse (les mayas chassent le cerf, le singe, le tapir, les oiseaux, les insectes), de la pêche, de l’élevage de dindons et de chiens, de l’agriculture sur brûlis. La ressource agricole principale, c’est bien entendu le maïs qui vous sera indispensable dans Tzolk’in puisqu’il faudra nourrir vos ouvriers plusieurs fois dans la partie.
Les fèves de cacao étaient aussi une monnaie d’échange alors que dans Tzolk’in les auteurs ont fait le choix du maïs ; d’ailleurs Daniele Tascini rectifiera le tir dans son jeu Teotihuacan. Les relations commerciales étaient importantes et nombreuses entre les cités-états mais elles entraînaient une compétition économique entre les rois, favorisant ainsi les guerres. Le transport se faisait à dos d’homme par les esclaves ou par voies d’eau ou par cabotage et pas par traction animale — eh oui car les mayas n’utilisaient pas la roue !
La culture maya
Reparlons un peu des bâtiments présents dans les cités mayas. Comme dit, l’architecture est verticale, et c’est pour se rapprocher des dieux : ce sont les pyramides à degrés qui représentaient les montagnes au sommet desquelles les rois, avec les prêtres, usaient de transes et de rites pour accéder au monde surnaturel et converser avec les dieux. D’ailleurs ces pyramides abritaient souvent des tombes royales. Les façades des pyramides étaient recouvertes de plâtre et peintes de couleurs vives (surtout du rouge) et les artistes y inscrivaient des messages politiques et religieux. La construction de ces temples demandait une quantité importante de main-d’œuvre soumise à de lourdes corvées en nature. Pas étonnant que Tzolk’in soit un jeu de placement d’ouvriers.
Les Mayas étaient aussi de brillants mathématiciens et astronomes ; ils avaient notamment calculé avec précision la révolution de la Terre autour du Soleil et étudié les mouvements de la Lune et des planètes. D’ailleurs, de nombreux temples étaient aussi des observatoires : les Mayas y suivaient l’évolution du ciel, les astres et surtout Vénus et la Lune.
Enfin, ils s’adonnaient à un jeu de balle le “Pok_ ta_ Pok” dans lequel le terrain représentait l’univers, la balle, le soleil. Chaque équipe (de 2 à 12 joueurs) devait se renvoyer la balle par un anneau de pierre soit par les hanches, les coudes ou les genoux sans faire tomber la balle.
Le calendrier Tzolk’in
Il serait temps de parler un peu plus de ce qui donne son nom à notre jeu : Le calendrier Tzolk’in. Il a un caractère divinatoire, religieux, sacré, et il est commun à toutes les civilisations précolombiennes de la Mésoamérique. Ses origines restent mystérieuses mais les spécialistes le situent vers 650 avant JC.
Il est basé sur des périodes de 13 jours et 20 semaines, soit un total de 260 jours. Et ça tombe bien car dans Tzolk’in le calendrier est un rouage qui compte 26 dents. Pourquoi 260 jours ? Et bien on ne le sait pas avec certitude mais certains archéologues ont avancé que cette durée pourrait avoir été choisie car elle correspond à la durée moyenne d’une grossesse humaine.
Alors comment fonctionne ce calendrier ?
- chaque treizaine est dédiée à des présages et à une divinité particulière ;
- à chaque jour correspond un glyphe, représentation graphique sous forme de gravure d’un signe typographique (accent, syllabe, mot). Ces glyphes étaient de formes différentes selon qu’ils étaient gravés dans la pierre ou dessinés sur « du papier » (codex).
Le calendrier avait des visées prophétique et cérémonielle. En effet :
- il servait de base à l’évaluation des personnalités (il pouvait ainsi permettre de savoir si une personne sera un Nahua, être mythologique mi-humain mi-animal mi-divinité), à des présages, des pronostics, etc.
- chaque nom des 13 jours avait une spécificité faste ou néfaste, il était donc important de consulter l’Almanach avant d’entreprendre toute action (guerres, mariages…).
En réalité, le calendrier Tzolk’in était associé à un autre calendrier, le calendrier Ha’ab ou “année vague”. Il s’agissait d’un calendrier de 365 jours composé de 18 mois de 20 jours chacun, auquel on ajoutait 5 jours, ce qui correspondait donc à un calendrier solaire (les Mayas connaissaient également les équinoxes et les solstices). L’association des deux calendriers permettaient de former une date exprimée en “calendrier rituel”. À noter que la combinaison de deux dates sur ces deux calendriers se synchronise une fois tous les 18 980 jours, soit 73 années Tzolk’in ou 52 années Ha’ab.
On avait donc deux systèmes calendaires qui évoluaient de manière concomitante, l’un consacré au sacré et l’autre au civil. La réunion des deux permettait donc d’établir la position d’un événement historique donné par les deux calendriers.
En conclusion…
Les raisons de la disparition de la civilisation maya restent mal connues aujourd’hui mais on sait que la plupart des cités n’ont pas été détruites : elles ont été abandonnées entre la fin du VIIIè S et le début du Xè S et recouvertes par la forêt puis restaurées par les archéologues. Les raisons évoquées pour cette disparition demeurent des hypothèses. Ainsi, on évoque des raisons internes telles :
- une crise écologique liée à la surexploitation des sols par la culture sur brûlis ;
- une crise climatique liée à des épisodes récurrents de sécheresse néfastes à la maïsiculture ou à de nombreux ouragans détruisant les cultures ;
- une crise démographique consistant en une forte et rapide croissance de la population entraînant des pénuries alimentaires ;
- ou bien encore une crise religieuse basée sur le croisement des deux calendriers qui avait fait prédire au clergé l’apocalypse au Xème siècle conduisant à l’abandon des cités par peur.
Mais cette disparition pourrait être expliquée par des causes externes telles que de nombreuses guerres entre les cités, des catastrophes naturelles ou encore des agressions de peuples venus de l’Ouest et du Nord.
La redécouverte de la civilisation maya est récente : elle avait été enfouie sous la végétation tropicale et des découvertes permanentes nous permettent de mieux la comprendre. Il existe aujourd’hui une culture maya moderne, osmose entre le passé et la conquête espagnole ; une grande partie de la population rurale de certaines zones géographiques descend de ce peuple et parle une des 28 langues maya.
Et pour conclure sur le jeu de Daniele Tascini et Simone Luciani, on peut dire que c’est devenu un classique moderne et que, s’il est sorti en 2012, il a néanmoins survécu à l’apocalypse prévue par certains en décembre de cette même année, une date qui correspondait à la fin d’un cycle du compte long du calendrier maya, justement.